vendredi 14 mars 2014

Monsieur de Pourceaugnac






Monsieur de Pourceaugnac, comédie-ballet en trois actes en prose, agrémentée de musique et de danse, a été joué pour la première fois le 6 octobre 1669 au château de Chambord. Versailles n'était encore qu'un vaste chantier et la cour nomade du jeune roi Louis XIV cherchait les forêts giboyeuses pour s'adonner au « divertissement de la chasse », sport automnal favori des gentilshommes. Afin de délasser cette brillante compagnie, on avait aussi coutume de lui donner le divertissement des spectacles. La querelle du Tartuffe était désormais terminée et la faveur du roi, totalement acquise à Molière. On fit donc appel à la troupe du Roi, qui quitta Paris le 17 septembre pour passer un mois dans la résidence royale. Naturellement le talent de Lully fut aussi mis à contribution pour les nombreux spectacles de ce séjour. 

Le décor, construction éphémère de fête, était simple, si l'on en croit le Mémoire de Mahelot : « Il faut deux maisons sur le devant et le reste du théâtre est une ville ». Pas de mobilier sinon les « trois chaises ou tabourets » pour asseoir Pourceaugnac entre ses médecins. Ce qui compte, en revanche, c'est l'attirail médical, neuf « seringues », et les deux « mousquetons » des Suisses. Molière, qui joue le rôle principal, est vêtu d'un costume aux couleurs criardes, « consistant en un haut-de-chausses de damas rouge garni de dentelle, un juste-au-corps de velours bleu garni d'or faux, un ceinturon à frange, des jarretières vertes, un chapeau gris garni d'une plume verte [...] » et pour le déguisement de l'acte III « une jupe de taffetas vert garni de dentelle et un manteau de taffetas noir ». La mascarade pouvait commencer. Elle était inspirée sans doute de canevas de la commedia dell'arte, comme Le dizgracie di Pulcinella ou Pulchinella burlato. Celui qui tire les ficelles, Sbrigani, n'est-il pas Napolitain ? La musique et la chorégraphie relayaient les lazzis et donnaient aussi le rythme de ce tourbillon carnavalesque, où Lully lui-même, interprète d'un des deux musiciens italiens en médecins grotesques, participa aux poursuites endiablées, armé d'un seringue à clystère. 



Molière éblouit la cour, il l'étourdit. Il la fit rire aussi, non seulement grâce aux performances physiques des comédiens, mais aussi à un comique de farce très caustique. En effet, quoi de plus efficace pour plaire à la haute aristocratie que de lui exposer les déconvenues d'un hobereau de province égaré dans la capitale, victime de sa crédulité et de la grossièreté de son éducation ? Ne dit-on pas d'un « homme venu depuis peu de la Province, qu'il encore l'air de la Province, pour dire qu'il n'a pas encore pris l'air du grand monde et de la Cour » ? Molière avait déjà raillé la province à travers George Dandin et ses beaux-parents, monsieur et madame de Sottenville. Il se sert du même ressort dramatique en forçant le trait avec Léonard de Pourceaugnac. Grimarest rapporte qu'il s'est inspiré d'un « gentilhomme limousin, qui, un jour de spectacle et dans une querelle qu'il eut sur le théâtre avec les comédiens, étala une partie du ridicule dont il était chargé. » Mais Pourceaugnac n'est pas le seul à détonner. D'autres types provinciaux agrémentent la pièce : Lucette, la Languedocienne et Nérine, la Picarde, que leur dialecte dénonce. Si l'on y ajoute l'italien et le français déformés de Sbrigani et des Suisses, le jargon des médecins et des juristes, le spectacle forme un ensemble bigarré et grotesque propre à égayer le public de Chambord, mais aussi celui de Paris où la pièce fut présentée à partir du 15 novembre avec succès. À la Cour et à la Ville, on se pique de parler un français bien différent, conforme aux règles de « l'usage » que définissent progressivement la jeune Académie française, des hommes de lettres comme Vaugelas ou Ménage et les salons comme celui de Madame de Rambouillet. Par la langue, « l'honnête homme » se distingue du commun. 



Après Monsieur de Pourceaugnac, outre le remboursement des frais occasionnés à la troupe, le Roi accorde à Molière une gratification exceptionnelle de mille livres « en considération de son application aux belles-lettres et des pièces qu'il donne au public. » Les trois comédies suivantes sont encore créées à la cour : Les Amants magnifiques à Saint-Germain-en-Laye, Le Bourgeois gentilhomme à Chambord et Psyché aux Tuileries. Mais il y a une ombre dans ce fastueux tableau : Molière fait des envieux et Molière est malade. En janvier 1670 paraît une comédie de M. le Boulanger de Chalussay, intitulée Elomire hypocondre ou les médecins vengés. L'anagramme ne cache pas la véritable identité de celui qui est portraituré dans cette pièce. Une correspondance cruelle s'établit entre la physionomie d'Elomire « les yeux enfoncés », « le visage blême », un corps qui n'a « presque plus rien de vivant et qui n'est presque plus qu'un squelette mouvant » et « cette habitude du corps, menue, grêle, noire et velue » de Pourceaugnac (I, 8). La farce, attaque féroce contre les médecins, est aussi l'œuvre d'un homme que sa maladie tourmente, situation que le public retrouvera, trois ans plus tard, avec Le Malade imaginaire

Depuis 1680, Monsieur de Pourceaugnac a été joué 892 fois à la Comédie-Française. Au XIXe siècle, Monrose, Samson, Edmond Got et Coquelin Cadet. En 1948, Jean Meyer demandait à Jacques Charon de prendre le rôle pour sa nouvelle mise en scène. Mais, comme il le dit lui-même, « le jeune Charon n'était pas Pourceaugnac. Il jouait les fantaisistes légers, les Arlequins », incarner ce bouffon de farce lui semblait impossible. Enrôlé « malgré lui », le jeune sociétaire fut par la suite pendant plus de vingt ans un Pourceaugnac emplumé et enrubanné irrésistible, aux côtés notamment de Béatrice Bretty, Catherine Samie et Françoise Seigner (Nérine), Micheline Boudet et Bérengère Dautun (Lucette) et Jean Meyer, Jean-Laurent Cochet et Jean-Claude Arnaud (Sbrigani). En 1987, Pierre Mondy mit en scène à son tour la pièce. Jacques Sereys était aux prises avec la « bande à Sbrigani » que menait Roger Mirmont. Ce spectacle, « conçu comme une énorme arnaque » contre Pourceaugnac rassemblait Claude Lochy, puis Louis Arbessier (Oronte), Thierry Hancisse (Eraste), Jean-François Rémi (Apothicaire), Véronique Vella (Julie), Paule Noëlle (Nérine) et Bérengère Dautun (Lucette). Il fut joué pour la dernière fois le 10 octobre 1988.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Monsieur_de_Pourceaugnac

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