jeudi 13 mars 2014

Amphitryon



Le 13 janvier 1668, Molière donnait sur son théâtre du Palais-Royal une nouvelle comédie en trois actes et en vers libres intitulée Amphitryon


En effet, les recettes passèrent du jour au lendemain de 228 livres à 1565 livres le soir de la première. Amphitryon fut joué trente-cinq fois dans l'année. Pièce brillante conçue comme un divertissement spectaculaire, elle fut représentée devant le roi le 16 janvier aux Tuileries. Molière y jouait Sosie vêtu d'un bonnet brodé d'or et d'argent fin, d'un costume de taffetas vert, avec une dentelle d'argent fin, de cuissards de satin rouge, de bas de soie verts et de souliers avec un galon d'argent. Le décor représentait une place de ville avec un balcon et au dessous une porte. Il y fallait naturellement une machine pour le nuage qui porte Mercure et un char pour Jupiter, sans oublier une lanterne sourde et une batte de poisson. Le succès d'Amphitryon fut bienvenu pour Molière qui venait de connaître une année théâtrale difficile avec une nouvelle interdiction de Tartuffe, le départ de mademoiselle Duparc pour la troupe concurrente de l'Hôtel de Bourgogne et l'interruption forcée de la saison théâtrale pour des représentations à la Cour.


À la fin de l'année 1667, au moment de la composition d'Amphitryon, Molière traverse donc une période pénible. Il n'a écrit qu'une comédie en un acte depuis un an, Le Sicilien. Il est malade. Les relations avec sa femme, Armande Béjart, commencent à se dégrader. À cette époque peut-être était-il dans la situation d'un mari trompé. Dans ce contexte, le sujet de la pièce n'apparaît plus aussi léger ; il évoque quelque chose de sérieux, voire de grave. Que ce soit d'expérience ou non, Molière analyse le sort du mari trompé avec une grande finesse. L'apparition d'un rival victorieux provoque chez le vaincu, un « sentiment de perte d'identité », accentué par le phénomène des doubles. L'amant éclipse l'époux qui n'a plus sa place. À ce propos s'ajoute la question des rapports de supériorité et d'infériorité entre les personnages. Ce thème traverse toute la pièce, construite sur le « contraste des Dieux et des Grands avec l'humanité commune ». Reprenant un sujet qui lui est cher et qu'il a notamment traité dans Dom Juan, Molière, par le jeu des doubles, met en scène de nouveau les oppositions entre valet et maître, peuple et aristocratie, homme et dieu. Il donne à voir un Jupiter dont le plaisir ne veut pas connaître pas de limite, comme l'ambitionnait aussi Dom Juan. La parenté entre Sosie et Sganarelle, que Molière a incarnés tous les deux, est tout aussi éclairante. En cela, Molière reflète tout à fait l'esprit de la société pour laquelle il joue, où les Grands ont comme un idéal de s'adonner au plaisir, sans égard pour les sentiments et la situation des autres.

Avec Amphitryon, Molière, pour la première fois, puise directement l'inspiration chez un auteur latin, Plaute. Il s'inscrit ainsi d'emblée dans une lignée d'auteurs qui, de l'Antiquité à la Renaissance, se sont saisis du mythe d'Amphitryon et de la naissance d'Héraclès, fils de Zeus et d'Alcmène pour l'adapter au théâtre. Rotrou, par exemple, en 1637, avait écrit et fait jouée une comédie sur ce thème intitulée Les Sosies. Au XXe siècle encore, Jean Giraudoux tira de cette histoire mythologique son Amphitryon 38. Il ne fait pas de doute que Molière qui avait fait ses humanités dans un des meilleurs collèges de son temps, le collège de Clermont, a compris l'intérêt moral et philosophique d'une telle situation. La pensée de Molière ne nous est parvenue qu'à travers les opinions et les attitudes, souvent contradictoires, de ses personnages. Ses positions philosophiques ne se laissent pas aisément deviner. Nous savons seulement qu'il a été proche dans sa jeunesse des milieux libertins, libertinage de l'esprit et non des mœurs à l'époque, et notamment du philosophe Pierre Gassendi. Ses préoccupations intellectuelles en revanche peuvent être mieux percées à jour. Depuis 1664 et le début de l'affaire Tartuffe, Molière semble se questionner de plus en plus sur les rapports entre l'Homme et Dieu. Après les faux dévots, il dresse un portrait étonnant d'un impie avec Dom Juan. La forte parenté entre ces deux pièces donne un éclairage intéressant sur la dimension spirituelle d'Amphitryon où s'affrontent hommes et dieux avec les armes de la foi et la raison.

Depuis 1680, Amphitryon a été régulièrement jouée par les Comédiens français. C'est une des pièces favorites de la troupe aux XVIIe et XVIIIe siècles. Après Molière, le rôle de Sosie fut confié notamment à François Arnould Poisson, très burlesque, à Préville, plus raffiné, ou encore à Dugazon qui déchaînait les rires du public. Moins goutée au XIXe siècle, la comédie fut souvent reprise au siècle suivant. On notera particulièrement la mise en scène de Jean Meyer en 1957 dans des décors et des costumes de Suzanne Lalique avec Lise Delamare (La Nuit), Yvonne Gaudeau (Alcmène), Denise Gence puis Catherine Samie (Cléanthis), Jean Piat (Mercure), François Chaumette (Jupiter), Jacques Charon puis Georges Descrières (Amphitryon), Robert Hirsch (Sosie). La mise en scène la plus récente, de Philippe Adrien, réunissait en 1983 Denise Gence (La Nuit), Claude Mathieu (Alcmène), Catherine Salviat (Cléanthis), Patrice Kerbrat (Mercure), Jean-Luc Boutté (Jupiter), Simon Eine (Amphitryon) et Richard Fontana (Sosie). Hors de la Comédie-Française, la mise en scène de Jacques Lassalle en 1988 a marqué le public par la grâce avec laquelle les comédiens s'élançaient dans les airs au bout de filins dans un décor constitué uniquement d'un immense velum.

 

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